Intégration de l'IA dans les établissements de santé : Quel(s) modèle(s) pour demain ?
- Camille DECROIX
- 24 avr.
- 4 min de lecture

Cet article propose une réflexion sur les enjeux liés à l’implémentation des grands modèles de langage (LLM), en comparant les approches open-source locales et les solutions propriétaires hébergées, afin de dessiner un modèle d’intégration adapté au contexte français.
Deux modèles d'intégration aujourd’hui mis en balance
L'intégration de l'intelligence artificielle dans les établissements de santé soulève des considérations distinctes selon le modèle privilégié, chacun comportant ses propres avantages, inconvénients et limites :
L'approche ouverte : Cette approche repose sur une intégration et une utilisation de modèles open-source sur des serveurs déployés et opérés localement sur l'infrastructure informatique de l'établissement.
L’approche ouverte d’intégration de LLM open-source au sein des établissements de santé se distingue par une transparence éthique accrue permise grâce aux possibilités de paramétrage du modèle, favorisant ainsi la connaissance et la compréhension approfondie des potentiels biais et mécanismes décisionnels. L’open-source offre également la possibilité d'intégrer des mesures de sécurité spécifiques pour pallier aux biais qui pourraient être induits par les données d'entraînement du modèle. Ensuite, sur le plan économique, bien qu'un investissement initial en infrastructure et en expertise soit indispensable, cette voie pourrait s'avérer plus avantageuse financièrement à long terme, stimulant par ailleurs le développement des compétences et des expertises au sein des établissements de santé et de la communauté médicale. En matière de cybersécurité, l’approche ouverte permet de maintenir les données de santé au sein de l'établissement, garantissant un contrôle sur les protocoles de protection et limitant les échanges de données en externe. Du point de vue de la souveraineté, cette approche assure une indépendance significative vis-à-vis des fournisseurs externes type hyperscaler. Quant à la soutenabilité, la contribution active de la communauté open-source permet d’assurer la pérennité des modèles, et leur personnalisation - souvent désignée par le terme de "fitting"- et permet une adaptation des modèles aux populations et aux spécificités locales.
En somme, Cette approche offre un haut degré de personnalisation et une connaissance fine des limites des outils déployés. Cependant, elle nécessite des investissements importants, une expertise et des compétences techniques avancées qui sont encore peu répandues voire absentes des établissements de santé.
L'approche fermée : Cette approche repose sur une intégration de LLM propriétaires hébergés et opérés sur des serveurs privés décentralisés, accessibles via des interfaces web ou des API, et dont l'infrastructure de calcul est gérée par ces fournisseurs externes.
L’approche fermée d'intégration de LLM propriétaires sur des serveurs décentralisés se caractérise par une facilité de déploiement et une scalabilité rapide, accompagnées de coûts de démarrage inférieurs et d'une maintenance facilitée, assurée par le fournisseur. Néanmoins, sur le plan éthique, ces modèles fonctionnent souvent comme des "boîtes noires" pour les professionnels, complexifiant ainsi l'évaluation et la prise en considération des biais du modèle. Par ailleurs, le transfert de données sensibles à des entités tierces engendre des préoccupations quant à la confidentialité du traitement des informations médicales. Sur le plan de la souveraineté, une forme de dépendance technologique pourrait s'installer, sachant que l'évolution des modèles LLM propriétaires est intrinsèquement liée aux priorités du fournisseur.
Cette approche fermée représentant une solution "clé en main" facilement accessible et ne nécessitant pas d’investissement majeur. Cependant, elle ne permet pas une personnalisation fine des solutions et le niveau de transparence peut être limité.
Les impacts sur le modèle économique et le retour sur investissement (ROI)
Le choix du modèle d'intégration des LLM a une incidence directe sur la construction du plan d’investissement des établissements de santé et les retours qu’ils peuvent avoir. L'adoption de modèles open-source, bien qu'impliquant un investissement initial conséquent en infrastructure et en personnel spécialisé, peut générer des économies à long terme grâce à la réduction des coûts de licence et à la possibilité de développer des solutions sur mesure offrant un avantage concurrentiel. Inversement, l'intégration de LLM propriétaires se caractérise par des coûts de démarrage potentiellement plus faibles et un retour sur investissement plus rapide pour certaines applications. Cependant, les dépenses d'abonnement et d'utilisation via API pourraient s'accumuler avec le temps, et la dépendance vis-à-vis des fournisseurs pourrait limiter la maîtrise des coûts à long terme.
Quel futur modèle intégratif et pour quel modèle économique ?
Il apparaît qu'une décision binaire entre LLM open-source et propriétaire n'est peut-être pas la solution optimale. Un modèle hybride pourrait être construit en combinant les avantages des deux approches. Par exemple, un établissement pourrait utiliser des LLM propriétaires pour des tâches génériques, non critiques, tout en déployant des LLM open-source sur une infrastructure locale pour les applications critiques ou nécessitant une personnalisation poussée. Cela permettrait de développer une offre de soins parfaitement adaptée aux besoins spécifiques de l’établissement et à son bassin de population.
Par ailleurs, le développement d'une infrastructure nationale d'IA pour la santé est d’autant plus pertinent dans le contexte de pays où le système de santé est fortement centralisé. En effet, une telle plateforme centralisée permettrait un partage sécurisé des données, le développement de jeux de données standardisés pour réduire les biais, la mise à disposition d'un répertoire public de modèles validés et de ressources de calcul accessibles aux établissements de santé via des API.
Sur le plan économique, le futur pourrait voir des modèles où les établissements investissent dans une infrastructure interne pour certaines applications stratégiques tout en s'appuyant sur des services cloud pour d'autres, optimisant ainsi les coûts et le contrôle des applications. La collaboration entre les secteurs public et privé est donc essentielle pour définir les standards de sécurité, d'interopérabilité des données et des modèles économiquement viables.
Un appel à la réflexion et à l'action collective
L'intégration des LLM dans les structures hospitalières représente une opportunité majeure d'amélioration de la qualité des soins, de l'efficacité organisationnelle et opérationnelle et de la recherche médicale. Cependant, les choix stratégiques auxquels sont aujourd’hui confrontés les acteurs de la filière auront des implications profondes à long terme sur les plans éthique, économique, de cybersécurité et de souveraineté.
Dès lors, il est crucial que les DSI, les professionnels de santé et les acteurs industriels s'engagent activement dans ces réflexions.
La participation aux travaux du collectif Catel est une démarche incontournable pour l’ensemble des acteurs impliqués dans cette problématique afin d’aborder ces enjeux complexes, partager les expériences et travailler collectivement à la définition de modèles d'intégration responsables, sécurisés et adaptés aux spécificités du système de santé français.
C'est en unissant nos forces et nos expertises que nous construirons ensemble l'avenir de l'IA au service de la santé.
Maxime Beuzelin, chef de projet e-santé, Catel - la coopérative en e-santé
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