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Les HIO : L'échelon régional manquant pour l'interopérabilité en santé en France ?

Dernière mise à jour : 8 juil.

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Alors que le déploiement et l'alimentation du Dossier Médical Partagé (DMP) s'intensifient en France, offrant une solution pour le partage des données de santé, il est pertinent d'examiner les stratégies alternatives adoptées à l'étranger. Prenons le cas des Etats-Unis, avec un partage des données au niveau national fondé sur les Health Information Exchange (HIE), complété par la capacité de certains DPI, dont EPIC à partager les données. Vincent Errera, Directeur des Affaires générales, Affaires juridiques et Liens Ville-Hôpital au CH de Laval et membre de la délégation du récent voyage d'études Catel à HIMSS 2025, nous livre son analyse.


Le réseau des HIE aux USA


Les HIE sont issus de plusieurs évolutions réglementaires depuis les années 2000 : Office of the National Coordinator for Health IT en 2004, loi HITECH en 2009 (30 Md$ pour la promotion des DPI et premiers HIE), 21st Century Cures Act en 2016 (interdiction du blocage d’informations et interopérabilité obligatoire) et TEFCA en 2022 (unification des réseaux au niveau national).


Ce socle réglementaire et les moyens alloué ont permis la mise en place d’environ 200 HIE, répartis en une centaine d’HIO (Health Information Organization). Un HIO peut gérer plusieurs réseaux HIE. A raison d’un ou plusieurs par état, ils apportent une réponse adaptée aux spécificités locales en termes de partage de données médicales structurées entre acteurs de soins. En pratique, en cas de prise en charge dans un hôpital à New-York, le SI va se connecter au HIE d’affiliation, lui-même relié à tous les HIE via sept réseaux nationaux agréés (QHINS), et permettre de trouver et d’importer les données médicales du patient dans le DPI de l’hôpital de prise en charge.


L’enquête menée par Civitas Networks for Health de 2023 a identifié les éléments suivants au sein de 76 HIO :

  • Financement : seuls 34 % sont financés par les cotations des participants, 72 % songent à une fusion avec un autre HIO ;

  • Zone de couverture : 46 % couvrent un état, 36 % un territoire ;

  • Statut : 73 % sont à but non-lucratif, 14 % publics, 4 % privés à but lucratif ;

  • Prestations :

    • Notifications de prise en charge : 96 %

    • DPI unifié : 82 %

    • Messagerie sécurisée : 63 %

    • Consentement du patient : 45 %

    • Annuaire : 42 %

    • Exécution des prescriptions : 38 %

    • Directives anticipées : 36 %

    • Vente de données anonymisées : 8 %

  • L’analyse de données, à des fins de santé publique notamment, constitue une activité essentielle pour les HIE :

    • Analyses destinées aux agences de santé publiques (PHA) : 86 %

    • Analyse par entité : 71 %

    • Analyse de critères qualité : 67 %

    • Stratification des patients : 56 %

    • Fonction parcours et analyse de conformité : 42 %

  • Connexion : 

    • 93 % sont connectés à au moins un réseau national (QHINS)

    • 66 % sont directement connectés à d'autres HIE du même état ou d'autres états

    • Connexions bi-directionnelles : médecine de ville (92 %), CH (90 %), EHPAD (79 %), cabinets d’imagerie (57 %)


Si les HIO ont initialement centré leur activité sur le partage de données médicales, ils ont été rapidement amenés à diversifier leur activité pour répondre aux besoins spécifiques de leurs territoires. Certains ont évolué vers des fonctionnalités d’analyse de données à des fins de santé publique dans le cadre de Health Data Utilities (HDU), d’autres ont développé une palette de services pour rester compétitifs dans un environnement concurrentiel et en constante évolution. Un système étatique et centralisé aurait eu plus de mal à suivre l’évolution des technologies et du marché.


Transfert de données entre DPI - EPIC


EPIC est le dossier patient le plus utilisé aux Etats-Unis, avec 42 % de part de marché selon KLAS, notamment dans les organisations intégrées de type Kaiser Permanente et InterMountain Health. Il est intégré, comme les autres éditeurs, aux HIE. Dans le même temps, EPIC développe une capacité d’échange au sein de son écosystème, garantissant un accès direct aux données médical :


  • Epic Care Link : portail web permettant à des acteurs externes (médecin traitant, IDEL, autre CH) d’accéder au DPI, d’échanger entre professionnels et de suivre un parcours de soins ;

  • Epic Community Connect : accès limité à EPIC pour petites structures, leur permettant d’utiliser pleinement les fonctionnalités DPI en lecture / écriture direct (sans interopérabilité) ;

  • Care Everywhere : permet un transfert structuré de DPI d’un EPIC à l’autre (ou Cerner).

 

Il faut considérer cela dans les fonctionnalités très larges d’EPIC : parcours de soins, télésanté, analyse de données, etc. Ce système est compatible avec le DPI de Cerner/Oracle (22 % du marché selon KLAS) ou Meditech (15 % de part de marché selon KLAS), même s’il est plus complexe en termes d’interopérabilité. Le marché français du DPI étant plus fractionné, une telle organisation serait peut-être plus complexe, mais illustre la possibilité de liens inter-DPI.

 

Perspectives en France


Outre le DMP et Mon Espace Santé, il faut considérer l’EHDS (European Healh Data Space). Ce dernier prévoit une interopérabilité à l’horizon 2029, permettant un partage de données selon un format unifié FHIR au niveau européen, les aspects techniques restent en cours de définition. 


Pour autant, aucun des trois ne constitue un outil territorial complet comprenant des fonctionnalités de :

  • Orchestration de données médicales et de services liés, répondant au besoin d’une forme de guichet unique ouvert aux outils territoriaux (e-parcours, téléexpertise, adressage, DAC) ;

  • Passage de données médicales consultables à des données transférables et exploitables en temps réel ;

  • Analyse de données en soutien aux politiques de santé publique, avec une granularité beaucoup plus fine qu’avec les données de la CPAM ;

  • Adaptation locale aux évolutions techniques et aux besoins du territoire.


Or c’est plus à cet échelon (région, bassin de vie, territoire) que se situent les besoins et le niveau optimal de réactivité, si on se réfère aux HIE. Peut-être y a-t-il une place, en articulation avec le DMP et Mon Espace Santé, pour une forme de plateforme régionales permettant de rassembler les données structurées et les fonctionnalités propres aux territoires desservis, à l’intention des professionnels de santé. La France accusant un retard réel sur les autres pays, une certaine autonomie serait de nature à permettre un rattrapage, tout en laissant une place à l’expérimentation.


Comme on l’a vu dans le cas des HIE, il s’agit d’une démarche d’amélioration continue selon les évolutions du marché et les besoins des territoires. Pour autant, un tel modèle décentralisé et autonome est-il compatible avec une culture jacobine marquée par un principe d’égalité – fut-il parfois théorique ?




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